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Carnet d'une voyageuse en Terre Sainte
12 janvier 2008

Lettre de Daimbert, archevêque de Pise, de Godefroy et de Raymond de Saint-Gilles au pape

Lettre de Daimbert, archevêque de Pise, de Godefroy et de Raymond de Saint-Gilles au pape

Au pape de l'Église romaine, et à tous les évêques et fidèles attachés à la foi chrétienne universelle. Moi archevêque de Pise, et les autres Évêques; Godefroy, par la grâce de Dieu, actuellement défenseur de l'Église du Saint-Sépulcre; Raymond, comte de Saint-Gilles et l'armée de Dieu toute entière qui se trouve sur la terre d'Israël, salut et prières abondantes, dans la joie et l'exaltation en présence du Seigneur.

Dieu a manifesté sa miséricorde en accomplissant en nous les choses qu'il avait promises dans les temps anciens. Car, lorsqu'après la prise de Nicée l'armée se remit en route, elle était forte de plus de trois cent mille hommes. Quoique une si grande multitude, qui pouvait occuper toute la Romanie, et en épuiser tous les fleuves, eût pu en un seul jour consommer tous les grains de la contrée, néanmoins le Seigneur l'entretint dans une si grande abondance, qu'on avait un bélier pour un écu (nummus) et un boeuf pour douze écus tout au plus. En outre, lorsque les princes et les rois des Sarrasins se portèrent contre nous, Dieu a voulu qu'ils fussent sans peine vaincus et exterminés. Mais comme de tels succès enflèrent notre orgueil, il nous opposa la ville d'Antioche, que tous les efforts des hommes n'auraient pu surmonter; nous y retint pendant neuf mois; et nous humilia pendant les travaux extérieurs du siège, jusqu'à ce que les fumées de notre orgueil eussent été complètement dissipées. Lorsque notre humiliation fut arrivée à ce point que dans toute l'armée on eût à peine trouvé cent chevaux en état de servir, Dieu nous ouvrit les trésors de sa bénédiction et de sa miséricorde, et nous introduisit dans la ville, où il nous livra les Turcs et tout ce qu'ils possédaient. Mais attendu que nous envisagions nos succès comme uniquement dus à la puissance de nos armes et que nous ne rendions pas de dignes actions de grâces au Dieu qui nous les avait procurés, nous fûmes à notre tour assiégés par une si grande multitude de Sarrasins, que personne n'osait sortir de cette grande cité. En outre, la faim se fit sentir si cruellement dans la ville, que quelques-uns eurent de la peine à s'abstenir de manger de la chair humaine. Il serait long de faire le récit des misères qui s'étendirent sur la ville. Mais le Seigneur, jetant un regard sur le peuple qu'il avait si longtemps flagellé, lui envoya ses bienveillantes consolations. C'est pourquoi, pour nous dédommager de nos tribulations, il nous offrit, comme gage de la victoire, sa lance, trésor qui n'avait pas vu le jour depuis le temps des apôtres. Ensuite il enflamma si bien le coeur des hommes, que ceux à qui la faim ou la maladie avait ôté la possibilité de marcher, sentirent couler en eux la force de prendre leurs armes et de combattre l'ennemi avec un ferme courage. Ensuite, lorsque après la victoire, la faim, l'ennui et surtout la discorde des princes eurent considérablement affaibli l'armée d'Antioche, nous étant dirigé vers la Syrie, nous prîmes d'assaut les villes sarrasines d'Albara et de Marrah, et nous nous mîmes en possession des châteaux de la contrée. Après quelque temps de séjour, la faim devint si impérieuse dans l'armée, que des corps de Sarrasins déjà tombés en putréfaction, servirent d'aliment au peuple chrétien. Ensuite, lorsque par une divine inspiration nous nous fûmes enfoncés dans l'intérieur de l'Hispanie, la main libérale, victorieuse et pleine de miséricorde du père tout-puissant s'étendit sur nous. En effet, les habitants des villes et des châteaux des pays que nous traversions, nous envoyaient des députés chargés de présents, et se montraient disposés à recevoir notre loi et à nous faire la remise de leurs villes. Mais, comme notre armée n'était pas nombreuse, et que tout le monde avait hâte d'arriver à Jérusalem, nous soumettions ces villes à des tributs, en acceptant des garanties; car une seule de leurs villes maritimes comptait plus de défenseurs que nous n'en avions dans notre armée. Lorsqu'on eut appris à Antioche, à Laodicée, à Rohas (Édesse), que la main du Seigneur était avec nous, plusieurs des guerriers qui étaient restés dans ces villes nous rejoignirent auprès de Tyr. C'est ainsi que Dieu ne cessant de marcher et de coopérer avec nous, nous arrivâmes jusqu'à Jérusalem. Après que l'armée eut éprouvé les plus rudes fatigues au siège de cette ville, surtout à cause du manque d'eau, les évêques et les princes, après avoir tenu conseil, ordonnèrent que l'on ferait nu-pieds le tour de la ville, afin que celui qui y avait son entrée dans l'humiliation nous l'ouvrît en considération de notre humilité, pour faire justice de ses ennemis. Le Seigneur s'étant laissé apaiser par cet acte d'humilité, le huitième jour qui le suivit, c'est-à-dire le jour où la primitive Église sortit de Jérusalem, et où beaucoup de fidèles célèbrent la fête de la dispersion des Apôtres, il nous livra la ville avec les ennemis de son nom. Si vous désirez savoir quel sort fut réservé aux Infidèles qui s'y trouvèrent, sachez que, dans le portique et le temple de Salomon, les cavaliers s'avançaient dans le sang des Sarrasins qui s'élevait jusqu'aux genoux de leurs chevaux. Ensuite, lorsqu'on eut réglé ceux qui devaient rester dans la ville, et ceux que l'amour de la patrie et de la famille poussait à reprendre le chemin de leur pays, on nous annonça que le roi des Babyloniens (Égyptiens) était arrivé à Ascalon avec une multitude innombrable de Païens, dans l'intention d'emmener en captivité les Francs qui occupaient Jérusalem, et de mettre le siège devant Antioche. C'est ainsi que lui-même l'avait dit: mais le Seigneur avait autrement décidé de notre sort. Lors donc que nous fûmes assurés que l'armée des Babyloniens était à Ascalon, nous marchâmes à leur rencontre laissant nos bagages et nos infirmes dans les murs de Jérusalem avec un corps pour les garder. Lorsque notre armée et celle des ennemis se trouvèrent en présence, nous invoquâmes à genoux le secours de Dieu, pour que celui qui avait confirmé la loi chrétienne dans nos autres nécessités, après avoir, dans la bataille qui allait se livrer, brisé les forces des Sarrasins et celles du diable, daignât étendre pour toujours d'une mer à l'autre le règne du Christ et de l'Église. Dieu ne fut pas longtemps sourd aux cris de ceux qui l'invoquaient, et nous envoya un tel degré d'audace que celui qui nous aurait vus nous élancer sur l'ennemi, aurait jugé lente la course du cerf altéré vers la source d'eau vive. Cela doit paraître d'autant plus merveilleux, que dans notre armée, il n'y avait pas plus de cinq mille hommes de pied, pendant que l'armée ennemie pouvait compter cent mille cavaliers et quatre cent mille fantassins. Le seigneur alors se montra admirable pour ses serviteurs, puisque, avant d'engager le combat, et par la seule impétuosité de notre élan, il mit en fuite toute cette multitude et leur fit abandonner toutes leurs armes, afin que si plus tard ils eussent été tentés de se retourner contre nous, le manque d'armes dût les en empêcher. Il est inutile de rechercher quel butin l'on fit sur eux; il suffit de dire que les trésors du roi de Babylone (le Caire) tombèrent en notre pouvoir. Plus de cent mille Maures périrent par le tranchant du glaive. Leur effroi fut tel, que deux mille hommes s'étouffèrent à la porte de la ville. Quant à ceux qui périrent dans la mer, le nombre ne saurait en être déterminé. Beaucoup d'entre eux succombèrent dans les halliers. L'univers entier combattait certainement pour nous; et si le pillage du camp n'eût pas retenu un grand nombre des nôtres, bien peu d'ennemis sur une si grande multitude eussent pu aller annoncer la nouvelle de cette bataille. Malgré la longueur de ce récit, nous ne devons pas passer sous silence ce qui arriva la veille de cet engagement. L'armée s'empara de plusieurs milliers de chameaux, de boeufs et de moutons. Lorsque, par l'ordre des chefs, le peuple eut écarté ces animaux pour marcher au combat, chose merveilleuse, les chameaux se groupèrent en troupes nombreuses. Les boeufs et les moutons en firent autant. Ils marchaient à notre suite, de telle sorte qu'ils s'arrêtaient avec ceux qui s'arrêtaient; s'avançaient avec ceux qui s'avançaient; couraient avec ceux qui couraient. Les nuages nous défendaient contre les ardeurs du soleil et nous apportaient du rafraîchissement. Après avoir célébré cette victoire, l'armée retourna à Jérusalem; et après avoir laissé le duc Godefroy dans cette ville, le comte de Saint-Gilles, Robert, comte de Normandie, et Robert, comte de Flandre, reprirent le chemin de Laodicée. Là on trouva Boémond et la flotte des Pisans. Lorsque l'archevêque de Pise eut rétabli la concorde entre Boémond et nos seigneurs, le comte Raymond se disposa à retourner à Jérusalem pour l'amour de Dieu et de ses frères.

En conséquence, prenant en considération la profonde admiration que doit inspirer la vertu de vos frères, la protection si glorieuse et si digne d'ambition du Dieu tout-puissant, et la si désirable rémission de tous vos péchés par la grâce de Dieu et par celle de l'Église catholique du Christ et de toute la famille latine, nous vous invitons à vous abandonner à la joie du triomphe, vous et tous les évêques, les clercs et les moines de bonne vie, et tous les laïcs, afin qu'il vous fasse asseoir à la droite de Dieu, celui qui vit et règne avec le Père dans l'unité du Saint-Esprit pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Nous vous prions et nous vous conjurons, par le seigneur Jésus qui n'a cessé d'être et de travailler avec nous, et qui nous a arraché à toutes nos tribulations, de vous souvenir de vos frères qui retournent à vous, en les comblant de biens et acquittant leurs dettes, afin que Dieu vous prodigue ses dons, vous pardonne tous vos péchés, et vous accorde une part dans tous les biens qu'eux et nous avons mérités devant lui.

Comte Riant date cette lettre en septembre 1099 dans " Inventaire des lettres historiques des croisades ", Archives de l'Orient Latin, New York, AMS Press, 1978 (1881), pp. 201-204.

Traduction prise dans J.F.A. Peyré, Histoire de la Première Croisade, Paris, Aug. Durand, 1859, vol. 2, pp. 494-498.

source: http://pages.usherbrooke.ca/croisades/sources1.htm#ascalon3

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