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Carnet d'une voyageuse en Terre Sainte
1 mars 2008

La prise d'Antioche (première partie)

Article de publié dans http://www.citadelle.org

par Benjamin Saintamon et Maxime Goepp (de l'excellent site forteresse d'orient).

La Prise d'Antioche
(première partie)

 

 "Cele citez dantioche dont je vos parole siet en la terre de Celesurie
et est partie de la grant terre de Surie. Mout siet en beau leu et en delitable."
(Guillaume de Tyr, X. Coment la noble cite dantioche siet)


 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Siege_Antioche/Siege_Antioche_par_Karbuqa_(1098)_001_s.jpg
Siège d'Antioche par Karbuqâ (1098)
ms. Fr 2810 , Fol. 234v
Hayton, Fleur des histoires d'Orient, France, Paris, XVe siècle

 

        Le siège d'Antioche apparaît être le véritable climax de la Première Croisade : les croisés, éprouvés par une difficile traversée de l'Anatolie, se heurtèrent durant sept mois à la farouche résistance des habitants de la ville et aux tentatives de dégagement opérées par les forces d'Alep et de Damas. En proie à une terrible disette, leur situation devint tragique à l'annonce de l'approche de la grande armée de Mossoul.
Il fallut la trahison d'un renégat arménien et toute la ruse de Bohémond de Tarente pour que cette première expédition franque organisée en Terre Sainte ne se solde par un complet désastre...

 

Antioche la belle

Quittant Marasch à la mi octobre de l'année 1097, les croisés prirent la grande route qui file au Sud par Ravendel et Azaz jusqu'à l'Oronte, où les attendait le "Pont de Fer" (Jisr al-Hadid).

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/1_Marash.jpg
Marasch
"
Li dux Godefroiz et la grant gent qui estoient avec lui
orent passees mout greveuses voies et furent venu par vaus
et par montaignes jusque a une cite qui a non Marese
"
cliché Maxime Goepp

 

Cet imposant ouvrage défendant le gué de l'Oronte était garni de deux tours pouvant contenir chacune cinquante arbalétriers. Il fut emporté de haute lutte le 20 octobre, permettant ainsi aux forces chrétiennes de déferler dans la vaste plaine d'Antioche. L'ost arriva finalement devant ce verrou de la Terre Sainte le lendemain, en milieu de journée, Bohémond de Tarente à sa tête.

 

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/ravendel.jpg
Ravendel
La gardienne du Haut-Afrin.
cliché Maxime Goepp

 

Antioche la belle, où Saint pierre avait fondé le premier siège épiscopal, ville magnifique et grandiose à qui Saint Luc avait dédié son évangile, ville symbolique enfin où s'était tenu le premier concile de l'Eglise, à l'issue duquel les Nazaréens - ou Galiléens, comme on disait alors - avaient décidé de se donner le nom de "chrétien".

                                    
            

 

            

 

            

 

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/2_Azaz.jpg
Azaz
Le tell pelé de Azaz ne donne plus aucune idée de l'importance
que put revêtir cette forteresse au début du XIIè siècle.
cliché Maxime Goepp

 

Antioche la belle, aux remparts courant sur plus de quinze kilomètres, et ponctués d'innombrables tours !
L'immense enceinte qui s'offrait alors aux yeux des Francs englobait la ville elle-même et les escarpements qui s'étageaient vers une citadelle pratiquement inexpugnable deux à trois cent mètres au dessus de la plaine.

 

                                                 
              

"La ville, constate Raimond d'Aguilers, est tellement garnie de murailles, de tours et d'ouvrages avancés qu'elle n'a à redouter ni les efforts des machines, ni les assauts des hommes, dût tout le genre humain se réunir contre elle."

            

 

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/3_JsrHadid.jpg
Le Pont de Fer (Jisr al-Hadid)
"Li ponz estoit seur leaue qui a non ez anciennes
escriptures Orontes; mes len le claime le Fer eu pais
."
cliché Maxime Goepp



En outre, les protections naturelles que figuraient l'Oronte sur le front ouest et les contreforts du mont Silpios (Habîb el-Nejâr) au sud et à l'est, interdisaient à toute armée, quel que fut son nombre, d'y établir un blocus effectif.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/4_Silpios.jpg
Le Mont Silpios (Habîb el-Nejâr)
Véritable falaise au creux de laquelle Antioche vint jadis se nicher.
Il est coiffé de la citadelle, dernier verrou vers les Terres Saintes.
cliché Maxime Goepp

 

Le début du siège

A vrai dire, personne, parmi les chefs de la croisade, n'avait de telles velléités : ils se contentèrent simplement de faire face à la courtine nord de la ville. Bohémond, arrivé le premier, s'établit avec ses Normands de Sicile devant la porte Saint Paul (Bâb-Bûlus). Plus à droite, entre les portes Saint Paul et du Chien (Bâb al-Kelb), les comtes Robert de Flandre et Robert Courteheuse, Hugues de Vermandois et Etienne de Blois, prirent à leur tour position. Le comte Raymond de Saint-Gilles et ses Provençaux, plaça son camp à la suite, également au voisinage de la porte du Chien. Enfin, le duc Godefroi de Bouillon, entouré de ses Brabants, Lotharingiens, Allemands et Frisons, s'établit précisément face à la porte du Duc, actuelle porte du Jardin (Bâb el-Janaina), dans le triangle compris entre l'enceinte et le cours de l'Oronte.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/carte_antioche_siege.jpg
Carte du Siège d'Antioche
extrait de Si je t'oublie Jérusalem de BARRET-GURGAND
(p.248, Le Livre de Poche, Hachette, Paris - 1982)

 

Mais Antioche était loin d'être encerclée, et le secteur sud de l'enceinte, où se trouvaient les portes du Pont (ou de la Mer) et Saint Georges resta libre de toute occupation.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/portemer.jpg
Porte du Pont ou de la Mer
De nos jours, en face de la porte du Pont, un rond-point commande la circulation.
Un pont moderne remplace, au même lieu, celui de l'époque médiévale.
cliché Maxime Goepp

 

 

                                                 
              

" Durant les quinze premiers jours, s'étonne l'Anonyme,, nul d'entre eux n'osa attaquer un des nôtres (...). On ne voyait personne sur les remparts, si ce n'est les hommes de garde ".

            

 

 

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Siege_Antioche/Siege_citadelle_Antioche_(1098)_001_s.jpg
Siège de la citadelle d'Antioche (1098)
ms. Fr 68 , Fol. 70
Guillaume de Tyr, Historia (et continuation),
Belgique, Bruges, XVe siècle
 

 

Les Francs profitèrent de ce calme relatif pour courir le pays à la recherche de vivres et de fourrage, relachant leur vigilance et s'exposant ainsi aux coups de main des garnisons d'Antioche et de la forteresse de Harîm de l'autre côté de l'Oronte. Vers le 18 novembre, Bohémond, ayant pris avec lui cent cinquante cavaliers, attira la garnison de cette forteresse dans une embuscade et revint avec beaucoup de captifs que l'on décapita sous les murs d'Antioche.
Les barons décidèrent bientôt de resserrer les mailles du siège ; aussi entreprirent-ils de couper les ponts par lesquels les Turcs effectuaient leurs sorties de la ville, et notamment un pont de pierre "basti de grant ancesserie" près de la porte du Chien. Munis de masses et de "grans picois d'acier", les hommes s'attaquèrent à l'ouvrage :

 

 

                                                 
              

"Si commencèrent à férer au pont pour le despecier ; mes le mur estoit si dur et si fort œuvre que onques ne le domagièrent".

            

 

Après de pénibles efforts, ils parvinrent à en condamner l'accès en y faisant rouler d'énormes blocs de pierres ainsi que des troncs d'arbre.
Par ailleurs, afin de fourrager en toute sécurité, les Francs se donnèrent de l'air en construisant, au nord-est de la ville, un pont de bateaux recouverts de claies en osier, qui leur permit de passer à leur gré sur la rive droite du fleuve pour communiquer avec la côte, en l'espèce le port de Saint-Siméon (Suwaidiya), à l'embouchure de l'Oronte.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/5_saintsimeon.jpg
Port de Saint-Siméon
La porte vers la mer qui vit arriver renforts et
fournitures permettant la poursuite du siège.
cliché Maxime Goepp

Enfin, pour dominer le rempart nord-est de la ville et prévenir les brusques sorties de la garnison de ce côté, on construisit sur les pentes de la montagne et dans le secteur de Bohémond, un fortin baptisé Malregard.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/malregard.jpg
Malregard
Sur ce léger replas, en regard de l'enceinte urbaine,
les croisés bâtirent un fort qu'il nommèrent Malregard.
cliché Maxime Goepp

 

Misère, calamités, désolation...


Malgré toutes ces précautions, le siège traînait en longueur et la pression des Turcs ne se relâchait pas un seul instant : Défis, harcèlements, provocations...
Il leur arrivait ainsi d'enfermer le patriarche grec d'Antioche dans une cage et de le descendre le long de la muraille pour narguer l'armée chrétienne.
De même un jour, derrière le camp de Godefroi, les assiégés surprirent et décapitèrent Aldébaron de Lutzelbourg, jeune homme issu de sang royal, qui jouait aux dés en compagnie d'une "dame très noble et très belle" qu'ils entraînèrent dans la ville.
"Pendant toute la nuit, [...] ils lui firent subir tous les excès de leur brutale débauche", puis au matin, la décapitèrent, plaçant sa tête dans une baliste qu'ils envoyèrent dans le camp du Duc de Lorraine...
La disette et l'hiver, éternels ennemis des armées, s'installaient ; de surcroît, il pleuvait sans cesse.

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/DSCF0098.jpg
La Citadelle :
tour des deux soeurs.
cliché Maxime Goepp

 

 

                                                 
              

"Les tentes pourries et déchirées par les torrents de pluie qui les inondaient étaient tellement hors d'usage, que beaucoup des nôtres n'avaient plus d'autre abri que le ciel. [...] Il était devenu impossible de mettre sa tète au sec, quant aux armes, tout ce qui était de fer ou d'airain, la rouille s'en était emparée [...] de tout cotés, ce n'était que misère, calamité, désolation."

            


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La citadelle :
détails intérieurs.
cliché Maxime Goepp

 

La rigueur de cet hiver après la fournaise de la traversée d'Anatolie était pour ces hommes venus de l'Occident lointain une rude surprise :

 

                                                 
              

"On nous dit que dans toute l'étendue de Syrie, écrit le comte Etienne de Blois à sa très chère femme Adèle, on peut à peine supporter les ardeurs du soleil ; cela est faux, car leur hiver est tout à fait semblable au notre. Nous avons souffert pour le Christ Notre-Seigneur d'un froid excessif et d'énormes torrents de pluies ".

            

 

Vers le 23 décembre, les barons résolurent de remplacer le système des fourrageurs isolés par l'envoi d'une grande expédition, formée de vingt mille hommes, qui irait ravager les terres au Sud d'Antioche, sur le moyen Oronte, et ramènerait des vivres en quantité.
Bohémond se proposa de conduire l'expédition et se mit en marche, accompagné par le comte de Flandres, trois jours après la fête de la Nativité.
Dès le lendemain, à la faveur de la nuit, la garnison d'Antioche opéra une sortie par la porte du Pont contre les éléments de l'armée franque qui étaient dispersés du coté de l'actuel cimetière musulman (entre l'aqueduc proche de Tshakmaja et le wadi al-Quwaisiya).
Mais Raymond, comte de Toulouse, était prêt à la riposte : s'élançant dans la mêlée avec tout ce qu'il put rassembler en chevaliers, il mit l'ennemi en déroute et parvint même à investir le pont.
Déjà, on espérait qu'il emporterait la ville, quand un cheval démonté jeta le désordre dans les rangs des Provençaux avides de montures. Les hommes de pied, croyant à une débandade, commencèrent à refluer, talonnés par les Turcs, jusqu'au pont de bateaux.
Incident fâcheux qui coûta la vie à nombre de preux, dont Bernard de Béziers, porte bannière du comte de Toulouse. Ladite bannière, où était figurée la Vierge Marie, fut accrochée sur les remparts et subit tous les outrages...

 

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Al-Bâra
L'ancienne riche cité byzantine, alors tombée aux mains des arabes,
est perdue dans les vergers et les verdoyantes prairies.
cliché Maxime Goepp

 

Pendant ce temps, Bohémond et Robert de Flandres parvenus à hauteur d'al-Bâra (à près de cent kilomètres au sud est d'Antioche), rencontrèrent une puissante coalition turque, partie au secours d'Antioche. Il y avait là le prince de Damas Duqâq, l'émir de Homs* Janâh al-Dawla ibn-Mulâ'ib et le propre fils de Yâghî Siyân, émir d'Antioche.
La bataille eut lieu près d'al-Bâra, le 31 décembre 1097. Après une vaine tentative d'encerclement, qui échoua grâce à la perspicacité de Bohémond, les Turcs essuyèrent la terrible charge du comte de Flandres, et s'évanouirent dans la nature.
Succès singulièrement considérable, mais succès négatif, car les Francs n'osèrent pousser plus au sud après cette bataille inattendue. Ils regagnèrent le camp d'Antioche, "plus légers que chargés de butin".

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/8_homs.jpg
Homs
De l'importante citadelle de La Chamelle (nom croisé de Homs)
qui résista toujours aux Francs, il ne reste quasiment rien de plus qu'un tell pelé.
cliché Maxime Goepp

 

La grande purification

L'expédition de ravitaillement ayant échoué, la famine s'installa. Face à cette situation, barons et membres du clergé sentirent le besoin d'un grand effort de discipline et convinrent de " bannir de l'armée toute injustice ou souillure ".
Il fut d'abord décidé de punir sévèrement ceux qui voleraient ou tricheraient dans les transactions entre Chrétiens.
Puis que "toutes les foles femmes et les meschines de mauvèse vie fussent gitées fors de l'ost" et que qui "seroit pris en adultère n'en fornication, l'en li couperoit la teste ; les "buveries des tavernes, les jeuz des dez et les mauvès serementz [blasphèmes], l'en les deffendi sur peine de mort".

Ceux que l'on pris à contrevenir aux décrets destinés à purifier le camp furent sévèrement châtiés : "Les uns furent chargés de chaînes, d'autres battus de verges, d'autres subirent la tonsure ou la marque du fer rouge".
Un homme et une femme surpris en délit d'adultère furent même déshabillés et contraints de parcourir toutes les allées du camp les mains liées, fouettés par les pèlerins "afin que la vue des plaies horribles dont ils étaient couverts servit à détourner tous les autres d'un crime aussi abominable".

 

http://www.citadelle.org/mediatheque/Articles/Orient_Latin/small/DSCF0117.jpg
Détail de la citadelle
cliché Maxime Goepp


Cette grande entreprise de purification ne pouvait aboutir sans qu'en soient expulsés les éléments allogènes, tels que ces espions musulmans, qu'évoque Guillaume de Tyr : "Il y avait dans notre camp un grand nombre de ces espions, déguisés en chrétiens syriaques ou arméniens" et chargés de renseigner l'émir de tout se qui se tramait parmi les croisés. Les barons, voyant leurs décisions éventées à l'avance, ne savaient comment se débarrasser d'une telle peste. L'industrieux Bohémond demanda alors qu'on lui laisse les mains libres dans cette affaire :

 

                                                 
              

"Biaux seigneurs, je vos prie que vos me laissiez chevir de ceste chose, car j'ai en pensée une moult bone délivrance de cest péril !"

            

A la nuit tombante, il fit allumer un grand feu comme pour préparer le souper et mander "les bouchers de sa terre". Puis il ordonna qu'on fasse sortir de prison quelques Turcs qu'il tenait dans les fers.

Ils leur "coupèrent les gueules et les enfondrèrent [embrochèrent] et les atornèrent [préparèrent] por rostir". L'en commença à demander que ce estoit. "Tel sera désormais le sort réservé aux espions", fit dire Bohémond, "ils serviront de nourriture aux princes et au peuple".

Le camp s'allégea ce soir là d'un certain nombre de faux chrétiens, "répandant par toute la païennerie  que cele gent qui estoient à siège Antioche estoient plus durs que roche ne que fers, de cruauté passoient les ours et lyons, car les bestes sauvages menjoient les genz toutes crues, mès cil les rotissent avant et puis les déveurent."

(Fin de la première partie).

Benjamin Saintamon et Maxime Goepp
www.orient-latin.com

La Prise d'Antioche deuxième partie

La Prise d'Antioche troisième partie

 

Crédits photos : Maxime Goepp

Crédits images :
Les images extraites des mss. BN Fr 2810 et BN Fr 68 sont libres de droit

Les citations qui illustrent les enluminures sont extraites de Historia rerum in partibus transmarinis gestarum de Guillaume de Tyr.

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