Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnet d'une voyageuse en Terre Sainte
25 mars 2008

Histoire de Batroun

HISTOIRE DE BATROUN - Par Dr. HASSÂN SALAM-SARKIS

HISTOIRE DE BATROUN
Par Dr. HASSÂN SALAM-SARKIS

La ville de Batroun est peut-être l'une des rares villes de la côte libanaise à n'avoir pas réllement intéressé les archéologues malgré le fait que son nom figure à plusieurs repises dans les textes depuis l'époque d'El-Amarna jusqu'à l'époque des Croisades. En effet, mises à part les quelques lignes que lui ont consacrées E. Renan dans sa Mission de Phénicie et H. Lammens dans son Guide archéologique du Liban (en arabe: Tasrih al-Absâr), les quelques prospections de surface effectuées par les préhistoriens et les quelques notices éparses que l'on trouve çà et là dans des traités plus généraux, on peut dire que l'histoire proprement dite de la ville est encore entièrement à écrire.
Je signale toutefois que je viens de terminer un ouvrage, en arabe, sur l'histoire de Batroun, qui devrait paraître dans les Publications de l'Université Libanaise. Du reste, quelques ébauches de ce travail ont été d'ores et déjà publiées: une conférence donnée en 1985 au Conseil Culturel de Batroun, en arabe, reproduite dans la première livraison des Publications dudit Conseil (1985), un article dans la revue Berytus (t. 35, 1987) une notice dans le Dictionnaire de la Civilisation Phénicienne et Punique (1992), auxquels s'ajoutent deux monographies consacrées l'une au Château de Musayliha dans les Annales d'Histoire et d'Archéologie de la Faculté des Lettres Sciences humaines de l'Université Saint Joseph (t. 5, 1986), l'autre au Cap du Théouprosopon. -Râs ech-Chaq`a- (en collaboration avec M. Davie) dans les Mélanges de l'Université Saint-Joseph (t. 51, 1991). Ces deux derniers articles traitent d'un certain nombre de problèmes indissociables de l'histoire de Batroun proprement dite.
INTRODUCTION
il est extrêmement difficile de fixer la date de la fondation de Batroun, et de suivre pas à pas les différentes phases de l'histoire par lesquelles cette ville a passé. Et bien que les prospections ont abouti à l'appréhension d'un certain nombre d'installations préhistoriques tout autour de la ville, allant depuis le Paléolithique Moyen jusqu'au Chalcolithique, ces vestiges attendent encore d'être convenablement fouillés et étudiés.
Quant à la phase cananéenne ancienne, ou le Bronze Ancien, elle n'est pas connue, et rien ne permet encore de soutenir objectivement l'existence probable de la ville au cours de cette époque ni d'en préciser l'emplacement. Aussi, l'histoire de la ville connaît-elle un hiatus qui nous mène jusqu'à l'époque d'El-Amarna, au milieu du IIe millénaire, époque durant laquelle elle est mentionnée dans les lettres de Rib-Hadda de Byblos comme faisant partie de son royaume.
Un second voile couvre l'histoire de la ville depuis la fin de l'époque amarnienne jusqu'à ce que son nom réapparaît dans les textes de l'époque hellénistique. A partir de cette époque, les textes en évoquent presque régulièrement le nom, à propos de l'un ou l'autre événement, jusqu'à l'époque des Croisades, à la fin de laquelle elle retombe dans une sorte de léthargie qui ne prendra fin qu'avec sa constitution en chef-lieu de district du Liban indépendant.

I- LE SITE
Batroun est situé sur la côte libanaise à quelques 53 km. Au Nord de Beyrouth. Son environnement géographique est constitué par une plaine triangulaire, au sol pauvre, limitée par la mer à l'Ouest, les premiers contreforts du Liban à l'Est et la masse du plateau de Râs-ech Chaq'a, le Théouprosopon des Anciens, au Nord. Cette plaine est traversée d'Est en Ouest par le cours de Nahr al-Jawz qui coule au pied du plateau.
La côte libanaise au niveau de Batroun est constituée d'un trottoir à vermets dont le grès (localement appelé ramleh) fut mis à contribution par les carriers depuis les temps les plus reculés. La côte dessine trois petits promontoires qui s'avancent dans la mer, et celui du milieu est occupé par la ville. Ces promontoires sont séparés par de petites criques ayant servi de ports aux pêcheurs d'éponges.

II- BATROUN DANS LES TEXTES DES GÉOGRAPHES ET DES VOYAGEURS
Les plus anciens textes qui font mention de Batroun sont les Lettres d 'El-Amarna, qui constituent la correspondance des rois et des Conseils des villes d'Asie Antérieure avec la Cour égyptienne d'Aménophis III et de son fils Aménophis IV-Akhénaton.
Dans la correspondance de Rib-Hadda de Byblos, Batroun est mentionnée dix fois sous la forme (Bat-ru-na), un nom dont l'origine peut n'être point sémitique, comme c'est le cas de beaucoup d'autres toponymes, pour disparaître ensuite, au cours de l'époque phénicienne, soit au cours du Ier millénaire avant l'ère chrétienne. C'est ainsi, par exemple, que les Annales assyriennes n'en font pratiquement pas mention, alors qu'elles mentionnent plusieurs autres cités. Il faudrait donc croire que Batroun ne représentait plus au cours de cette époque quelque chose d'autre qu'un lieu-dit, ou tout au plus une petite agglomération habitée par quelques pêcheurs inoffensifs.
Au cours de l'époque classique, ses habitants hellénisés, ou peut-être les conquérants eux-mêmes, donnent à la ville le nom de Botrys, un nom dont la forme générale rappelle celui que Batroun possédait au cours des époques précédentes, mais dont le sens n'a rien à voir avec la signification originelle du nom à tout jamais perdue. Et bien que la ville, et sa région, n'était pas spécialement vinicole à l'époque, on voit apparaître sur ses monnaies des emblèmes ayant un rapport direct avec la vigne et le vin, comme si l'on avait sollicité cette "voix du peuple" pour consolider et ancrer dans les esprits la nouvelle étymologie.
C'est donc sous la forme Botrys que la place-forte de Batroun (oppidum Botrys) est mentionnée dans le De situ Orbis de Pomponius Mela (43-44 ap.J.-C.), dans l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien (vers 70 de notre ère), dans le Traité de Géographie de Ptolémée (2e s. ap.J.-C.) ou dans la Table de Peutinger (1ère moitié du 3e s.).
On ignore toutefois les raisons pour lesquelles Batroun disparaît de l'Itinéraire des Provinces d'Antonin Auguste (fin 2e-déb. 3e. s.). Et à moins d'envisager l'éventualité d'une refonte de l'Itinéraire dans le courant du 4e s., à une époque où la localité ne constituait plus une étape importante sur les routes de l'Empire, on est en droit de se poser des questions sur ce qui lui a valu le changement de statut et l'essor magnifique qu'elle connut au cours de l'époque sévérienne et dont témoignent ses monnaies "architecturales".
Or, si l'Itinéraire Antonin, sorte de guide officiel de la "poste impériale", ignore l'étape de Botrys, celle-ci réapparaît dans l'Itinéraire d'Antonin de Plaisance (vers 333) sous la forme de Mutatio Bruttos Alia, pour la distinguer d'un autre "relai" nommé lui aussi Bruttos, et qui devait se trouver à l'embouchure de l'actuel Nahr-et-Bâred (= Bruttos). On comprend aisément d'ailleurs qu'un "guide touristique", du genre de l'Itinéraire d'Antonin de Plaisance, ait mentionné un "relai" secondaire que le "guide officiel" pouvait facilement négliger.
A partir de cette époque, il faudra attendre près de 200 ans avant de voir réapparaître le nom de Batroun dans le Synekdemos, une sorte de Catalogue des Provinces de l'Empire, que le grammairien byzantin Hiéroclès devait rédiger sur l'ordre, probablement, de Justinien lui-même. Batroun, à cette époque, faisait partie, avec 13 autres villes, de la 51e Province dont Tyr était la Métropole. Elle devait aussi figurer dans l'Index d'Etienne de Byzance, rédigé, comme le précédent, au cours de cette époque.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que le Catalogue d'Hiéroclès aussi bien que l'Index d'Etienne de Byzance, ont été rédigés au début du règne de Justinien et donc avant le grand tremblement de terre qui détruisit la majeure partie des cités de la côte. Il n'est pas invraisemblable du reste de penser que l'aide impériale aux villes ait été répartie sur la base de ces inventaires. C'est peut-être ce qui explique que Batroun, petite bourgade insignifiante, ait été soustraite de cette aide, étant donné que la priorité de la reconstruction revenait aux plus grandes villes de la Province. D'ailleurs, elle ne se redressera plus avant longtemps des suites de cette catastrophe.
A partir du VIe-VIIe s. le souvenir de la ville disparaît des sources jusqu'à ce qu'il réapparaît au XIIe s. dans les textes des Croisades. Pourtant, vers le milieu du XIe s., (1045-1052), un voyageur persan, Nâssir Khosraw, entreprend un voyage qui le mène de Perse jusqu'en Egypte et en Arabie. Ce voyageur, par ailleurs très curieux, paraît totalement ignorer Batroun. Le chemin qui le mène de Tripoli à Gbayl-Byblos ne semble pas passer par la localité qui se trouvait -depuis l'effondrement du Théouprosopon et la destruction de la route côtière qui le longeait- à l'écart de la route officielle qui contournait désormais le massif et passait, à travers les défilés de Wadi al-Musayliha, au pied des premiers contreforts bordant la plaine de Batroun du côté de l'Est. Or, avant de parvenir à Gbayl, Nâssir Khosraw atteint un endroit qu'il appelle Taraberzen. Ce toponyme, n'en déplaise à l'éditeur du voyageur, n'était autre que l'antique Théouprosopon (Râs ech-Chaq´a) déformé par des souvenirs presque millénaires !
Un siècle plus tard, vers 1178, la localité de Batroun continue de passer inaperçue lorsque le voyageur byzantin Jean Phocas entreprend son voyage dans les environs. Et si la région n'avait pas eu à connaître l'occupation franque, Batroun n'aurait figuré qu'épisodiquement dans les écrits des géographes arabes, comme Idrîssy († en 1165), Yâqout (né en 1179) ou Dimachqy († en 1327), qui la désignent sous la forme Batharoun ou Bathroun.
Le nom de la ville ne devait pas connaître auprès des Chroniqueurs des Croisades un sort meilleur que celui qui lui était réservé par leurs prédécesseurs. Guillaume de Tyr, le plus classique d'entre eux, la désigne sous la forme Botrium. D'autres se contentent de transcrire le Batharoun ou le Bathroun arabes en Betheron, Bethelon, Bethlon, Bethoron ou encore Betheren. D'autres choisissent tout simplement de "franciser" le nom, comme jadis les Grecs et les Romains le grécisèrent, et baptisent la ville d'un nom nouveau, susceptible de mieux s'ancrer dans les mémoires: Le Boutron ou Le Botron. C'était en quelque sorte une manière de conserver phonétiquement l'ancien nom, mais aussi de lui donner une étymologie, pour ainsi dire, plus parlante, inspirée probablement de l'emplacement de la ville sur une langue de terre pénétrant dans la mer!
Après l'intermède croisé, la ville ne devait plus changer de nom jusqu'à nos jours. Par contre, c'est le massif de Râs-ech-Chaq'a qui semble subir et refléter les marques des changements culturels que connaît la région. D'Euprosopon, ou Bonne Face, chez Pomponius Mela, à Theouprosopon, ou Face du Dieu, chez les autres auteurs classiques, à Lithoprosopon, ou Face de pierre, chez les auteurs byzantins, à Parsoup Kîpa, ou Face de pierre, chez les auteurs syriaques, à Taraberzen, chez Nâssir Khosraw, au Puy du Connetable, chez les historiens des Croisades, au Capo Pagro, Cappouge, Capponie ou Cap Madone, chez les voyageurs et les explorateurs depuis le XVIIe s. jusqu'à Renan, c'est toute l'Histoire du promontoire qui défile au gré des toponymes.

III- BATROUN DANS LES SOURCES DE L'HISTOIRE

A) LES DONNÉES DE LA PRÉHISTOIRE
Les prospections de surface ont amené à la reconnaissance, dans la plaine de Batroun, et plus particulièrement dans la région voisine de Qoubba, d'un certain nombre de sites préhistoriques s'échelonnant depuis la Paléolithique Moyen (100.000-35.000), avec son matériel moustérien de débitage levallois, le Paléolithique Supérieur, l'Epipaléolithique ou Mésolithique, jusqu'au Néolithique. La zone située au Sud de la ville a livré de son côté des vestiges remontant au Chalcolithique, tandis que la région de Qoubba a fourni quelque matériel datant du Bronze Ancien. L'une des grottes préhistoriques de Qoubba avait été transformée dans le passé en oratoire dédié à Saint Jean. Des bienfaiteurs mal inspirés ont récemment jugé bon d'en bloquer l'entrée par un mur de maçonnerie et de la transformer en chapelle!
Signalons toutefois que la prospection du site néolithique de Qoubba (Kubbah I de Copeland) permet de considérer ce site comme l'un des plus anciens villages agricoles de la côte libanaise.
Or, si cette distribution du matériel peut donner un avant-goût de la richesse que recèle la plaine, elle ne peut résoudre les problèmes relatifs à l'antiquité des établissements humains à Batroun même. En effet, en l'absence de fouilles menées à l'intérieur de la ville, on ne saura jamais si la vie s'est continuellement déplacée horizontalement dans la plaine jusqu'au Bronze Récent (époque durant laquelle l'existence de la ville est attestée par les Lettres d'El Amarna), ou si la fixation humaine sur le site même de Batroun remonte à une date plus reculée.
B) BATROUN AU Ile MILLÉNAIRE
La seule documentation que nous possédons sur Batroun au cours de cette époque provient des Lettres d'El-Amarna, et plus particulièrement d'une dizaine de lettres envoyées par le roi de Byblos, Rib-Hadda, au Pharaon pour le mettre au courant de la situation qui prévalait dans ses états à la suite des entreprises des Amorrites de `Abdi Ashirta et de son fils `Azîru.
Dans ces lettres, le roi fait état d'un séjour à Batrouna, la seule ville qui lui reste encore fidèle en dehors de Gubla et que ´Abdi-Ashirta tente de lui soustraire. L'Amorrite ne tarde d'ailleurs pas à soulever la population de la ville contre son roi qui échappe de justesse à une tentative d'assassinat en tuant son aggresseur. Batrouna, cependant, ne tarde pas à rallier le camp des envahisseurs. Les Amorrites l'occupent, et Rib-Hadda ne cesse vainement d'espérer la reprendre avec l'appui des soldats de Pharaon

C) BATROUN ??À L'ÉPOQUE DES PEUPLES DE LA MER

Les trahisons, les attentats, les souffrances de Rib-Hadda, et l'impuissance de la cour amarnienne finissent par avoir raison de la fidélité et de la résistance du roi qui ne tarde pas à se réfugier auprès de Hammunîri, maire de Beyrouth. Croyant sauver les membres de sa famille, il les envoie s'installer à Tyr en attendant des jours meilleurs. Les Tyriens, jugeant les réfugiés trop compromettants pour eux dans la conjoncture qui prévalait, finissent par les assassiner. Entretemps, Byblos tombe définitivement aux mains de `Azîru, et Rib-Hadda se réfugie à Sidon où il trouve la mort.
Batroun ne devait pas échapper au sort du royaume de Gubla définitivement conquis et détruit. Il semble d'ailleurs très probable qu'elle n'était rien de plus qu'un terrain vague lors des incursions des Peuples de la Mer. Cette situation ne devait pas évoluer au cours des deux ou trois siècles suivants, et Ithoba'l de Tyr (887-856) pouvait passer aux yeux de la postérité comme le fondateur ex nihilo de la ville de Batroun.
Or, quelles que soient les nuances que l'on puisse apporter à ce récit des Annales d'Ithoba'l (Ethba'l) roi des Tyriens, qui ont été traduites vers -200 par Ménandre d'Ephèse, et qui nous ont été transmises par Flavius Josèphe dans ses Antiquités Judaïques, on ne peut s'empêcher de se poser un certain nombre de questions sur la situation de la région au cours de cette époque, d'autant plus que le problème des fameux "Peuples de la Mer" ne paraît pas encore définitivement résolu.
Le Ile millénaire, s'achève par de vastes bouleversements sociaux, économiques et politiques qui ont dû provoquer d'immenses déplacements de populations de toutes origines et de toutes cultures, et probablement dans tous les sens. Dans ce chaos en mouvement, des "peuples" ont pu venir des régions septentrionales de la Méditerranée, tandis que d'autres, pouvaient bien venir d'ailleurs. C'est en tout cas dans ce contexte que prend place le grand mouvement d'expansion et de colonisation phéniciennes.
Nous ignorons tout de la nouvelle fondation d'Ethba'l de Tyr: était-elle implantée au-dessus des ruines de la ville du Ile millénaire, comme il arrive parfois dans les tells, ou s'était-elle déplacée horizontalement pour s'implanter ailleurs, comme il arrive encore parfois? Seules des fouilles permettront de répondre objectivement à ces questions. Toujours est-il que la ville ne joua aucun rôle dans les événements qui parsemèrent le Ier millénaire, et les Annales assyriennes qui abondent en toponymes l'ignorent presque totalement. En effet, elle ne figure qu'une seule fois, sous la forme Bi-ti-ru-me, dans le rapport relatant la campagne du roi Assarhaddon contre le territoire de Sidon en 677. Elle ne devait sortir de sa léthargie qu'au bruit des pas des armées d'Alexandre.

D) BATROUN GRÉCO-ROMAINE

Nous n'avons aucune mention de Batroun dans l'inventaire des villes conquises par Alexandre. Non parce que cette ville avait échappé au conquérant, mais simplement parce qu'elle devait être suffisamment insignifiante pour mériter un tel honneur! Seul Polybe, parmi tous les historiens et auteurs qui ont traité des événements de l'époque hellénistique, la mentionne dans le cadre de la Quatrième Guerre de Syrie qui opposa, entre 223 et 217, Ptolémée IV Philopator d'Égypte et Antiochos III de Syrie. La ville faisait alors partie des possessions égyptiennes en Syrie qu'Antiochos devait occuper en 218, lors de sa marche victorieuse entre Arwâd et Beyrouth.
Vers la fin du Ier s. av. J.-C., et à la faveur des désordres qui ont marqué la fin des Séleucides, les arabes Ituréens occupent la Beqâ` et le Nord du Liban et fondent un vaste royaume dont la capitale politique était Chalcis (dont le site n'a pas encore été découvert, mais qui devrait se trouver dans l'un des replis de l'Anti-Liban, à l'Est de Baalbeck), et la capitale religieuse Héliopolis-Baalbeck. Forts d'une conjoncture tout à leur faveur, ces Ituréens tentent d'étendre leur pouvoir sur tout le versant occidental du Liban. Batroun se trouve être donc, à la merci des incursions de leurs bandes armées, et finit par abriter, aux dires de Strabon, un fortin ituréen d'où celles-ci mènent leurs razzias contre les régions côtières de Byblos et de Beyrouth.
Lorsque Pompée, vers 64/63, s'emparre de la région, celle-ci vivait dans un état de désordre total dans lequel les luttes intestines et le banditisme étaient de règle. Le général tente de mettre fin à cet état des choses en mettant à mort un certain nombre de condottieri locaux et en réorganisant la situation administrative et politique de ses nouveaux territoires. C'est ainsi que Batroun, Gigarta et un certain nombre d'autres villes furent soustraites à la principauté ituréenne.
Les sources sont par ailleurs muettes sur le sort de Batroun sous l'Empire, et l'on ne sait si elle doit son droit de battre des monnaies en bronze à Auguste ou aux Sévères. Toujours est-il que nous possédons une monnaie de Batroun datée de l'année 28, sans que l'on puisse savoir si cette date doit être calculée selon l'ère actiaque (qui débute en 31 av. J.-C.) ou plus vraisemblablement selon l'ère pompéenne (qui débute en 64/63 av. J.-C.) plus répandue dans les villes de Syrie et qui ne cèda la place à l'ère d'Actium que dans le courant du IIe s.
D'un autre côté, comme nous n'avons non plus aucune monnaie de Batroun pouvant remonter au début de l'époque impériale, on peut penser que la ville n'accéda au droit italique qui lui assurait une certaine autonomie et au droit de battre monnaie et qu'au cours de l'époque séverienne, époque durant laquelle la ville se dote d'un temple hexastyle ou octostyle prostyle dédiée à une Astartée locale tutélaire, comme en témoignent ses émissions datées de l'époque d'Elagabale (220/219) et d'Alexandre Sévère (221-222).
C'est aussi au cours de cette époque que la ville adopte, sur ses monnaies, les symboles vinaires, tels que l'image de Dionysos, l'amphore de vin ou la grappe de raisin, comme pour mieux faire accréditer l'étymologie -récente- de son nouveau nom, Botrys.
A côté de son temple que nous connaissons à travers l'iconographie de ses monnaies "architecturales", Batroun entreprend la construction d'un odéon dont les gradins, restés inachevés, ont été taillés dans le rocher d'une petite colline qui la domine du côté Est, à l'endroit dit Mrah ech-Chaykh. C'est là aussi, que se trouvaient, il y a encore un demi-siècle, des blocs d'architraves et de corniches en marbre, décorés de rinceaux, de perles et pirouettes et de raies de cœur, dont le style rappelle celui qui était en usage vers la fin du IIe-déb. du IIIe s. Ces fragments se trouvent aujourd'hui, dans le jardin d'un riche notable de Jounieh.

E) BATROUN À L'ÉPOQUE BYZANTINE
On ne trouve rien dans les sources qui puissent nous indiquer que Batroun a joué un rôle de quelqu'importance au cours de l'époque byzantine. Son nom n'apparaît d'ailleurs, qu'épisodiquement dans les textes de cette époque. Trois points importants peuvent cependant arrêter l'historien:
1- L'Evêché de Batroun
Bien qu'il soit extrêmement hasardeux de traiter des origines et de l'expansion du christianisme à Batroun, certains textes permettent d'affirmer que la ville fut érigée en évêché suffragant du Métropolite de Tyr, capitale de la Phénicie Première.
Sous Justinien Ier (527-565), la Métropole de la Phénicie Première fut transférée de Tyr à Beyrouth, et Batroun fut naturellement rattachée à ce nouvel Archevêché, jusqu'à ce qu'elle fut de nouveau, rattachée à Tyr vers la fin du Vle s.
Parmi les évêques qui ont occupé le siège épiscopal de Batroun entre le milieu du Ve et le milieu du VIe s., trois d'entre eux nous sont connus pour différentes raisons:
- l'Evêque Porphyre, qui a participé au Concile de Chalcédoine (451);
- l'Evêque Elie (512-518), condamné par le Concile de Tyr (518), pour avoir soutenu Sévère, Patriarche monophysite d'Antioche;
- l'Evêque Etienne, connu pour avoir participé au Concile de Constantinople (553).
2- Batroun et le séisme du VIe s.
Le 9 Juillet 551, à ce qu'il semble, la côte orientale de la Méditerranée fut proie à un violent séisme qui provoqua la destruction d'une centaine de cités parmi lesquelles on peut mentionner Beyrouth et Tripoli. Batroun fut du nombre des localités saccagées par le tremblement de terre, et l'auteur de l'Itinéraire du matyr Antonin (570) ne la mentionne pas parmi les cités qu'il a visitées, ce qui prouve qu'elle ne s'était point remise des séquelles de cette catastrophe, contrairement à d'autres villes côtières reconstruites partiellement aux frais de l'empereur.
Il semble cependant que la ville tira profit de la catastrophe, puisqu'un certain nombre de textes affirment que les éboulements de la façade maritime Nord du Théouprosopon, par laquelle passait la route côtière qui reliait Batroun à Tripoli, avaient provoqué la formation d'une jetée qui servit à l'implanation d'un port capable d'accueillir de grands bateaux, alors qu'auparavant, disent-ils, la ville n'en possédait point.
Le récit du chroniqueur Jean Malalas (491-578) qui rapporte ce fait, est extrêmement important, non seulement parce que son auteur est un contemporain des événements, mais encore parce qu'il va servir de fondement à tout un développement fantastique de la part des chroniqueurs ultérieurs, tels que Michel Le Syrien (1166-1199) ou le Pseudo-Denis qui s'en est inspiré, qui ont mal compris Malalas et ont par conséquent pensé situer l'événement dans la ville de Batroun. En plaçant donc ledit port juste en face de la ville, ils pouvaient expliquer la présence du fameux "mur de mer" qui ferme les criques de Batroun en le considérant comme étant LA "grosse fraction" du Lithoprosopon ("Masque de pierre") qui s'est détachée à la suite du séisme et qui " fut projetée au loin dans la mer,... s'y enfonça et forma un barrage en face de la ville sur une grande longueur... " ! Or, Malalas précisait que la ville ne possédait point de port avant le séisme du VIème s. Ce qui nous amène à conclure que l'éboulement qui a provoqué la création du port s'était passé non dans la ville de Batroun, mais dans la région de Batroun, et plus précisément sur la face Nord du massif de Râs ech-Chaq'a, à quelques sept km au Nord de la ville.
En fait, on peut excuser l'emphase de certains chroniqueurs, comme par exemple M. Le Syrien, si l'on se rappelle du fait qu'ils ne connaissaient point les lieux et qu'ils avaient tenté d'expliquer l'origine de ce "mur"! D'ailleurs, de nos jours encore, et ceci depuis Renan et Lammens, on ne cesse de se poser des questions à propos de ce fameux mur!

3- "Le mur de Mer" Si certains chroniqueurs n'avaient pas fait le rapprochement entre le séisme du milieu du VIe s. et le "mur" de grès de près de 5m. de hauteur qui ferme, pour ainsi dire, les criques de Batroun, celui-ci n'aurait dû occuper que quelques lignes dans la présentation du site. Ce "mur", en fait, n'est ni construit pour protéger un port, ni élevé dans le cadre d'un système de défense général de la ville, d'autant plus que celle-ci n'a jamais occupé une place importante dans l'histoire pour justifier la création d'un tel dispositif. Il fait partie, géologiquement parlant, de la falaise qui longe la côte sur une hauteur qui varie selon les endroits. Si l'on veut voir dans cette "digue" une sorte de dispositif destiné à relier les deux criques dans le but de constituer un immense port ouvert des deux côtés Nord et Sud, on constate que le trottoir, situé en arrière et large d'une quizaine de mètres, est actuellement au-dessus du niveau de la mer, sinon à fleur d'eau, et que par conséquent il ne favorise nullement le passage de quelqu'embarcation que se soit. Ce platier était d'ailleurs, dans l'Antiquité beaucoup plus élevé, au-dessus du niveau de la mer qu'il ne l'est actuellement, ce qui rend l'idée de port encore plus improbable. En effet, la côte libanaise a connu entre le IVe et le VIe siècles une élévation d'environ 80 cm. du niveau de la mer, élevation qui a causé, entre autre, l'abandon des installations portuaires de Sarafand et de Tripoli. Le "mur" conserve des traces d'extraction de pierres sur sa face orientale tournée vers la ville, et son platier montre dans de nombreux endroits des fragments de poteries hellénistiques et romaines prisonniers dans sa "gangue", ce qui nous permet de proposer une explication de sa présence à cet endroit. Il semble en effet que la falaise de grès fut exploitée comme carrière durant ce que l'on pourrait appeler l'âge d'or de Batroun sous les Sévères, ou peut-être même avant. Les carriers procédaient à l'extraction des blocs en partant de la côte et, au fur et à mesure qu'ils avançaient dans leur travail, tant horizontalement qu'en profondeur, ils ménageaient une sorte de parapet qui les protégeait des vagues. Du côté Est, et au-dessus du fondement gréseux, les travaux traversèrent le niveau hellénistique de la ville que l'on observe dans la coupe qu'ils nous ont préparé involontairement à cet endroit. A partir du moment où la carrière atteignit le niveau des eaux, elle fut abandonnée. Ses débris et ses déchets de sable, mélangés à des tessons des époques hellénistique et romaine finirent par se conglomérer pour constituer le platier, assez chaotique, que l'on voit de nos jours.

4) Le port de Batroun
Les petites criques rocheuses au Sud et au Nord de Batroun, ont dû depuis toujours constituer des endroits favorables pour l'implantation de ports minuscules, mais n'ont jamais facilité sa promotion au rang de grande cité maritime. C'est peut-être pour cette raison, d'ailleurs, que Batroun n'a jamais connu le développement et l'importance des autres villes côtières durant presque toutes les époques. Or, à partir de l'époque byzantine, les chroniqueurs ne cessent d'insister sur le fait que la ville, qui avait toujours été dépourvue d'installations portuaires de quelqu'importance, a fini par en être dotée à la suite de l'éboulement de la face Nord du Théouprosopon, à quelques 7km. au Nord de Batroun, à l'endroit où se trouvent aujourd'hui les plages de Héri.
Ces chroniqueurs ont pu, comme nous l'avons vu, commettre de graves erreurs de topographie, ou encore dans l'interprétation de l'origine du "mur de mer", mais ils ne pouvaient affirmer, contre toute évidence, l'inexistence totale de port! S'ils l'ont fait, c'est que l'éboulement fut d'une importance telle qu'il provoqua la création d'une jetée qui ferma la baie de Héri et détermina l'implatation d'un nouveau port dans la région de Batroun (ad urbem Botrym), comme il a provoqué la destruction de la route côtière qui reliait cette ville à Tripoli et le détournement du trafic vers les défilés du Wadi al-Musayliha.
La constitution de cette jetée ne devait pas être suffisamment solide pour résister au sapement de la mer et le port semble avoir eu une vie assez courte, alors que la baie continuait probablement à accueillir les bateaux. D'ailleurs, lorsque les Croisés de Chypre vinrent en aide au Seigneur de Barut en 1231, c'est en cet endroit qu'ils débarquèrent.
5- BATROUN A L'ÉPOQUE DES CROISADES
A la veille des Croisades, Batroun faisait partie de l'Émirat des Banou `Ammâr qui ont gouverné le Nord du Liban à partir du milieu du XIe s. et dont les frontières méridionales semblent devoir être fixées sur le Nahr Ibrâhîm ou même un peu plus au Sud sur le Nahr el Maameltein. On ne sait d'ailleurs pas, quelle était l'importance de la ville à cette époque et encore moins, comment elle tomba entre les mains des Croisés. Toujours est-il qu'elle semble avoir fait partie de la nouvelle entité politique aux alentours de 1110.
Les quelques allusions concernant Batroun que l'on trouve dans les Recueils des Historiens des Croisades, nous apprennent que les fortifications de la ville étaient si fragiles qu'on regroupa ses maisons de façon à constituer une masse compacte facile à défendre. Le centre de la cité était occupé par un fort, dont on peut aujourd'hui reconnaître certaines portions du tracé. Ce fort était en relation avec le petit port aménagé dans la crique Nord de la ville, et qui permettait aux petites embarcations de messagers de communiquer avec les autres forteresses de la côte. Du côté de l'Est, le fort du Boutron s'ouvrait sur la plaine qui produisait à l'époque, un vin d'une grande réputation, et qui assurait son approvisionnement.
Sur le plan religieux, l'évêché de Batroun devait continuer en principe comme par le passé d'être suffragant du Métropolite de Tyr. Mais la conjoncture politique amena à une nouvelle organisation des Églises de la conquête, et Batroun fut, de ce fait, rattachée au Diocèse de Tripoli. A côté de son évêque latin, d'autres évêques orientaux, melkites ou jacobites, continuaient d'exercer leurs fonctions. Deux des églises de Batroun peuvent de nos jours être attribuées à cette époque: Saint-Sauveur (Sansabour) sur la colline de Qubba, et Saint-Jacques (Mar Ya'qoub) au pied de ladite colline dont des bienfaiteurs mal inspirés ont démonté récemment les restes (dont des blocs couverts de restes de peintures murales) pour construire un parking!
L'histoire de Batroun au cours de cette époque est extrêmement obscure, et l'on ne peut qu'y tracer un certain nombre de jalons, parfois très espacés l'un de l'autre.
Si les sources désignent comme premier Seigneur du Boutron, le noble provençal Raymond d'Agout ou d'Agot, elles ne sont pas toujours explicites au sujet du nom de son successeur, qu'elles appellent tantôt Rostang ou Rostain d'Agout, tantôt Guillaume Dorel. Or, quelles que furent les liens qui unissaient les deux hommes, et qui ont été à l'origine de cette confusion, on peut penser que Rostang, qui fut bien l'héritier de Raymond, avait donné sa fille, en premières noces, à Guillaume Dorel qui eut, lui aussi une fille qui hérita du Boutron par sa mère. Promise d'abord, au "chevalier errant" Gérard de Ridefort, la pucelle héritière fut littéralement achetée contre son poids d'or, par le riche pisan Plivain à Raymond II, Comte de Tripoli, qui se trouvait être son protecteur. Le mariage consacra le passage de la Seigneurie du Boutron des mains des provençaux aux mains des pisans.
Le mariage de Plivain avec l'héritière du Boutron, devait avoir de lourdes conséquences sur l'avenir des relations entre le Comte de Tripoli et Gérard de Ridefort devenu entre-temps Grand-Maître des Chevaliers du Temple. Le continuateur de Guillaume de Tyr n'hésite d'ailleurs pas, à imputer à la haine des deux hommes la chûte de Batroun et d'autres villes de la côte aux mains de Saladin en 1187.
Quant au Seigneur Plivain, il est connu pour avoir apposé son sceau sur un certain nombre d'actes de Raymond II de Tripoli, en 1181, et de Bohémond IV, Comte de Tripoli et Prince d'Antioche, en 1198 et en 1206. La description de ce sceau nous est connue par un vidimus de 1248 faisant état d'un acte daté de Mars 1202. La bulle porte à l'avers l'image d'un aigle entouré des mots SIGILLVM DOMINI PLIVANI, alors que le revers est orné d'un chastel entouré de CASTELLVM BOTRONI.
Plivain meurt sans laisser d'héritier mâle pouvant lui succéder au Boutron. Mais comme il avait donné une de ses filles au fils puîné de Bohémond III, Bohémond d'Antioche, celui-ci lui succéda. C'est en cette qualité, d'ailleurs, que celui-ci appose sa signature sur des actes de Bohémond IV, Prince d'Antioche, et d'Albert, Patriarche de Jérusalem, datés entre 1231 et 1241. Bohémond du Boutron vécut probablement jusqu'en 1244, année de la prise de Gaza.
Au Seigneur Bohémond succéda son fils Guillaume d'Antioche, qui épousa Agnès, fille de Balian, Seigneur de Sajette-Saïda. Il a laissé sa signature sur un certain nombre d'actes de Bohémond VI, datés de Mars 1255, d'Avril 1256 et de Mai 1262. C'est au cours de cette année qu'il fut désigné membre de la commission d'arbitrage chargée de mettre fin aux différends qui opposaient les Chevaliers du Temple et ceux de l'Hôpital. Dans le rapport établi le 19 Décembre 1262, à la fin des travaux de cette commission, on le voit porter le titre de "Connétable du Royaume de Jérusalem".
Après cette date, le souvenir des Seigneurs du Boutron disparaît des sources pour une durée d'environ vingt ans, au cours de laquelle on peut, avec beaucoup de vraisemblance, situer la Seigneurie de Jean d'Antioche, fils et héritier de Guillaume d'Antioche, attesté par les textes, mais dont il n'est resté aucun témoignage officiel. Jean devait être probablement mineur à la mort de son père, et c'est peut-être ce qui explique que l'on ait fait appel à son oncle Rostan, fils de Jacques d'Antioche, pour assurer la régence du Boutron. Le nom de Rostan apparaît parmi les signataires de l'acte d'accusation rédigé le 12 Février 1282 à l'encontre de Gui de Giblet accusé d'avoir tenté de s'emparer de Tripoli par la force avec l'aide des Templiers. Il fut probablement le dernier Seigneur du Boutron, qui tomba, comme toute la région, aux mains de Qalaoun en 1289. Rostan et son neuveu, Jean, s'enfuient dans les Pouilles où ils meurent.
6- DU MOYEN ÂGE A NOS JOURS
Après la chute de Tripoli, Batroun ne devait opposer aucune résistance effective aux armées de Qalaoun, comme du reste l'ensemble des autres villes du Comté. Son fortin fut détruit, ou utilisé partiellement dans la construction de ses maisons, où l'on peut encore l'observer, et la ville fut rattachée à la Niyâbat de Tarâblus.
Si Batroun avait joué un rôle de quelque importance à l'époque des Croisades, elle fut presque insignifiante sous les Mamlouks. L'absence de port et le remplacement de la route côtière, détruite depuis le milieu du Vle s., par la route intérieure qui empruntait les défilés de Wadi al-Musayliha, finirent par avoir raison de la ville qui ne cessa de végéter jusqu'à la création du Liban indépendant.
Tout au long de cette époque, la ville ne semble avoir rien conservé de son passé. Le Chevalier Laurent d'Arvieux qui visita la région vers 1660 l'ignore complètement. Jean de la Roque, contraint de s'y arrêter à la tombée du jour, la décrit comme une ville "ruinée et presque déserte". Le voyageur anglais Maundrell, qui traversait la route de Tripoli à Gbayl par les défilés du Wadi, consent de faire un détour pour la visiter: elle n'est que ruines et désolation, et à peine y signale-t-il les vestiges d'une église et d'un couvent. Quant aux chroniqueurs locaux, comme Duwayhy ou Hattouny, ils n'évoquent le nom de Batroun que pour en désigner la région.
Cette situation de désolation peut être imputée à la pauvreté de la plaine de Batroun, tant en terres fertiles qu'en sources. D'ailleurs, le fait que seule son extrémité Nord était irriguée par l'eau de Nahr al-Jawz, laissait la presque totalité de la plaine à la merci des variations pluviométriques et à quelques cultures sèches qui ne pouvaient en aucune façon en assurer la richesse, sauf au cours de certaines époques où la culture de la vigne assurait à la ville un produit d'exportation et une source non négligeable de revenus. Cette situation devait connaître un réel bouleversement dont témoignent les voyageurs qui visitèrent la ville à partir du milieu du 19e s.
A cette époque, en effet, toutes les régions de la montagne et de la côte libanaises connaissent une véritable promotion économique due à la culture intensive du mûrier, et à la production industrielle de la soie. La pauvreté du sol de la plaine de Batroun la prédisposait merveilleusement à ce genre d'activités. Le voyageur britanique David Urquhart, qui visita la ville vers 1860, témoigne de son essor urbain, de ses plantations de mûriers, de ses filatures florissantes, de ses atteliers de tissage de la soie et du bien-être de ses habitants, malgré, dit-il, l'absence d'eau. Le Guide Joanne de 1861 évalue, quant à lui, à 3000, le nombre des habitants de Batroun, "chrétiens maronites ou grecs". C'est de cette époque de bien-être social et économique que datent certains des monuments qui font le charme de la ville: l'église Saint-Georges des Grecs Orthodoxes, la chapelle de Saydet el-Bahr, la porte d'une maison à Mrah echCheikh, près de l'Odéon, et la majeure partie des souks.
Vers 1882, aux dires de H. Baedeker, "Batroun est le chef-lieu d'un district... (et) possède un bureau télégraphique", et vers 1906, "elle compte env. 5000 hab... (et) est la résidence d'un Qaimmakam et appartient au sandjaq du Liban".
Le problème de l'eau qui nous paraît avoir conditionné le sort de Batroun tout au long de son histoire, et qui ne pouvait être contourné pour ainsi dire qu'épisodiquement, et au gré des possibilités des marchés, par l'exploitation intensive de quelques cultures sèches, ne devait commencer à trouver une solution massive qu'à partir, semble-t-il, de 1932. Le Guide Bleu de cette année fait remarquer, comme fait hautement digne d'attention, que "Batrun et tout le pays qui l'environne sont dépourvus d'eau de source; la ville est alimentée par l'eau de puits creusés dans les quartiers et quelquefois dans les maisons".
Il devait probablement en être toujours ainsi, mais les conjonctures ne permettaient pas toujours d'exploiter la vigne et encore moins, le ver à soie!

BIBLIOGRAPHIE:

1: Sources:
Assises de Jérusalem, II: Assises de la Cour des Bourgeois ; publ. par Le Comte Beugnot, Imprimerie Royale, Paris &843: pp.468-469;
Aurenche, O., Documents de cartographie antique: L'Epoque romaine, Hannon (Revue Libanaise de Géographie), VII, 1972, pp. 147 et s.;
Borger R., Die Inschriften Asarhaddons Königs von Assyrien, Archiv für Orientforschung, Beiheft 9, Graz, 1956, (Osnabrück, Biblio-Verlag, 1967), p. 48;
Cosmographie de Chams-ed-Din Abou Abdallah Mohammed Ed-Dimischqui, éd. M.A.F.Mehren, Saint-Petersbourg, 1866;
Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, VIII, 324, dans "Flavii Josephi Opera graece et latine", recognovit G. Dindorfius, vol. I, F. Didot, Paris 1845: p. 320;
Geyer, P., Itinera Hierosolymitana Sœculi III-VIII, Prague-Vienne-Leipzig, 1898;
Guillaume de Tyr, Historia Rerum in partibus transmarinis gestarum, RHC: Hist. Occ., I, 1, Imprimerie Impériale, Paris, 1844, voir index s.v.: Botrium, Botrion, Bethelon, Betholon, Betheron, Betheren, Bethlon,
Hérodote, L'Enquête, trad. A.Barguet, dans "Historiens Grecs", 1, "Bibl. de la Pléiade", Gallimard, Paris 1964;
Idrisi, Palaestina et Syria, ed. Gildemeister, Bonn 1885;
Ioannis Malalae Chronographia, éd L. Dindorf, "Corpus Scriptorum Historiae
Byzantinae", XVIII, Bonn 1831: p. 485;
Jean Phocas, dans Joannis Cinnami, Historiarum Libri VII, Coll. "Traditio Catholica", Saeculum XII, Anni 1150­1180, éd. J.-P. Migne, Paris 1864, col. 927 ss.;
Johannis Episcopi Ephesi Syri Monophysitae Commentarii de Beatis Orientalibus et Historiae Ecclesiasticae Fragmenta, éd. W.J. van Douwen et J.P.N. Land, Astelodami (Amsterdam) 1889: p. 241, frag. I, 1.17 et s.;
L'Estoire d'Eracles Empereur et la Conqueste de la Terre d'Outre-Mer, RHC: Hist. Occ., II, Imprimerie Impériale, Paris 1859, voir index s.v.: Botrium, Botrion, Bethelon, Betholon, Betheron, Betheren, Bethlon.
La Table de Peutinger, portefeuille édité par la revue Gaule,10e année, 2e série, n° 7, Paris, Juillet 1965;
Le Synekdemos d Hiéroclès et l'Opuscule géographique de Georges de Chypre, Texte, Introduction, Commentaire et Cartes par E. Honigmann, éd. de l'Institut de Philologie et d'Histoire Orientales et Slaves, Bruxelles, 1939;
Leclercq, H., art. "Itinéraires", dans Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie, Latouzey et Ané, Paris, 1927;
Les Lettres d'El Amarna, trad. franç. de D. Colon et H. Cazelles, Coll. "Littératures Anciennes du Proche-Orient", Cerf, Paris, 1987;
Levi, A. et M., Itineraria Picta, Contributo allo studio della Tabula Peutingeriana, Roma, 1967;
Maraval, P., Lieux Saints et Pélerinage d'Orient: Histoire et Géographie, des origines à la Conquête arabe, Cerf, Paris, 1985;
Michel le Syrien, Chronique, éd. J.-B. Chabot, E. Leroux, Paris 1901: pp. 308-309 (pour le texte syriaque), et Tome Il: pp. 246-247, cols. de g.;
Milani, C., Itinerarium Antonini Piacentini: Un viaggio in Terra Santa del 560-570 d.C, Milano, 1977;
Miller, K., Itineraria Romana: Römische Reisewege an der Hand der Tabula Peutingeriana, Streker and Schröder, Stuttgart, 1916;
Miller, K., Die Peutingersche Tafel, F.A.Brockhaus, Stuttgart, 1962;
Müllerus, C., Claudii Ptolemaei Geographia, "Coll. Scriptores Graeci ", vol. 63, F.Didot, Paris, 1883,
Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, F.Didot, Paris, 1850;
Polybe, Histoire, trad. D. Roussel, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1970;
Polybe, Histoire, V, 68, 7-8, Polybii Historiarum Reliquiae, F.Didot, Paris, 1858;
Poinponius Mela, Description de la Terre, "Coll. des Auteurs Latins", dir. M. Nisard, Dubochet et Cie, Paris, 1845;
Pseudo-Denis, Chronique, éd. J.-B. Chabot, "Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium", "Scriptores Syri", Série III, Tome 2, Paris, 1933: pp. 132-136;
S.P.N. Andrae..., Johannis Malalae, Th. Abucare..., éd. J.-P. Migne, "Traditio Catholica, Saeceulum VII, Anni 675-680", Tome unique, Paris, 1865: col. 702-704.
Sefer Nameh, Relation du voyage de Nassiri Khosrau, publié, traduit et annoté par Ch. Schefer, E. Leroux, Paris, 1881;
Stephani Byzantii Ethnikon, ed. A. Westennann, Lipsiae (Leipzig), 1838; Strabon, Géographie, XVI, 2, 18, Strabonis Geographica, F.Didot, Paris, 1853, Wüstenfeld F., Jacut's Geographisches Wörterbuch, I, 1866.

II: Ouvrages de référence:

Abel, F.-M., Géographie de la Palestine, II: Géographie politique; Les villes, Paris, 1938;
Andâry, Youssef al-, Dalil al-mudun wal-qura al-lubnâniya, Bayrout, 1973;
Arvieux,L. d'-, Mémoires du Chevalier-, recueillis et mis en ordre par J.B. Labat, 6 vol., Paris, 1735; (Réed. Coll. "Voyageurs d'Orient", II, Dar Lahad Khater, Beyrouth 1982);
Atlas climatique du Liban, tomes : I (1970), II (1982) et 111 (1969), Service Météorologique du Liban et Observatoire de Ksara, Beyrouth,
Baedeker, K., Palestine et Syrie, Leipzig, 1882;
Baedeker,K., Palestine et Syrie, Leipzig, 1906;
Baramki, D.C., The Coin Collection of the American University of Beirut Museum: Palestine and Phoenicia, AUB, Beirut, 1974;
Bellinger, A., The Early Coinage of Roman Syria, Studies... A.C.Johnson, Princeton, 1951: pp. 58-67;
Beugnot (Le Comte-), Les Lignages d'Outre-Mer, RI-IC.: Lois II, Assises de Jérusalem, II, Paris, 1843;
Bordonove, G, Les Templiers: Histoire et Tragédie, Fayard, Paris, 1977;
Botrys, dans Pauly-Wissowa, Real Encyclopaedie der classischen Altertumwissenschaft, III, col. 793, Stuttgart 1899,
Botrys, Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Eclésiastique, IX, Paris 1937;
Bouché-Leclerc,A.,1913, Histoire des Séleucides, Paris; réimpr. anastatique Bruxelles, 1963;
Brown, J.P., The Lebanon and Phoenicia, vol. 1: The physical setting and the forest, AUB, Beirut, 1969: 126-139;
Campbell, E.F., The Chronology of the Amarna Letters, Baltimore, 1963;
Chevallier, D., La société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe, Geuthner, Paris, 1971;
Copeland, L. and Wescombe, P.J., Inventory of Stone-Age Sites in Lebanon, dans MUSJ, 41, 1965: 30 et s.;
Coupel, P., Trois petites églises du Comté de Tripoli , BMB, 5, 1941 : pp. 35-55;
Deschamps, P., Les Châteaux des Croisés en Terre Sainte, III: La défense du Comté de Tripoli, Geuthner, Paris, 1973;
Dussaud, R., Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, Geuthner, Paris, 1927;
Elisséef, N., Batroun, Encyclopédie de l'Islam, Nlle éd., I: p. 1135, Brill et Maisonneuve, Leyde et Paris, 1960;
Enlart, C., Les monuments des Croisés dans le Royaume de Jérusalem: Architecture religieuse et civile, 2 vol. texte, 2 vol. pls., Geuthner, Paris, 1925-1928;
Fliche, A. et Martin,V., Histoire de l'Église depuis les origines jusqu'à nos jours, vol. IV: De la mort de Théodose à l'élection de Grégoire le Grand, Blond et Gay, Paris, 1937;
Gèze, B., Carte de reconnaissance des sols du Liban, au 1/200.000e, Beyrouth, 1956;
Grousset, R., Histoire des Croisades et du Royaume Franc de Jérusalem, 3 vol., Paris, 1934-1936;
Guide Bleu, Syrie, Palestine, Iraq, Jordanie, Hachette, Paris, 1932;
Helck, H.W., Die Beziehungen Aegyptens zu Vorderasien im 3. and 2. Jahrtausend v. Chr, Wiesbaden, 1962;
Hill, G.F., Catalogue of the Greek Coins of Phoenicia, British Museum, London, 1910;
Honigmann, E., Historisehe Topographie von Nordsyrien im Altertum, Leipzig, 1923;
Honigmann, E., Batruna, Reallexicon der Assyriologie, I, Berlin and Leipzig, 1932;
Honigmann,E., Évêques et évêchés monophysites d'Asie Antérieure au VIe siècle, Louvain, 1951;
Joanne, A. et Isambert, E., Itinéraire descriptif, historique et archéologique de l'Orient, "Collection des Guides Joanne", Paris, 1861;
Jones, A.H.M., The Cities of Eastern Roman Empire, Oxford, 1937;
Katzenstein, H.J., The History of Tyre, from the Beginning of the Second Millenium b.c.E., until the Fall of the Neobabylonian Empire in 538 b.c.E., Jerusalem, 1973;
Klengel, H., Geschichte Syriens im 2. Jahrtausend v.u.Z., Berlin, 1965.
La Roque, J. de-, Voyage de Syrie et du Mont-Liban, T.I, Paris, 1722;
Lammens, H., Batroun. Encyclopédie de l'Islam,1: p. 698, Brill et Picard, Leyde et Paris, 1913;
Lammens, H., Tasrîh al-Absâr fi ma yahtawy Lubnân min al-Athâr,1, Bayrout, 1913;
Le Quien, M., Oriens Christianus, II, Parisis, 1740, pp. 815-816 et 827-828, (réimpr.anastatique De Graz, Bruxelles 1958);
Lipinski Ed., Le Royaume de Sidon au Vlle siècle av. J.-C., Eretz Israel, 27, 1994, pp. 158-163.
Liverani, M., Social Implication in the Politics of Abdi-Asirta of Amurru, Sources and Monographs on the Ancient Near East, 1, 5, 1979: pp. 14-20;
Liverani, M., Pharaon's Letters to Rib-Adda, Sources and Monographs on the Ancient Near East, 1, 5, 1979 : pp. 113;
Maundrell, H., A Journey from Aleppo to Jerusalem at Easter, A.D.1697, Oxford, 1732;
Plassard, J., Crise séismique au Liban du IVème au VIème s., MUSJ 44: pp. 10-20, 1968;
Prawer, J., Histoire du Royaume Latin de Jérusalem, 2 vol., Paris, 1975,
Préhistoire du Levant. Chronologie et organisation de l'espace depuis les origines jusqu'au VIe millénaire, Actes du Colloque International, CNRS, n° 598, Lyon, Maison de l'Orient Méditerranéen (10-14 juin 1980), éd. du CNRS, Paris 1981.
Pritchard, J.B., The Roman Port at Sarepta (Sarafand): Preliminary Report on the Seasons of 1969 and 1970, Bulletin du Musée de Beyrouth 24, 1971: pp. 39 et s.;
Pritchard, J.B., Recovering Sarepta. A phoenician City, Princeton, 1978,
Renan, E., Mission de Phénicie, Imprimerie Impériale, Paris, 1864.
Rey, E., Les Colonies franques de Syrie aux XIIe et XIIle s., Paris, 1885;
Rey E.-G., Les Familles d'outre-Mer de Du Cange, Paris, 1869;
Richard, J., Le Comté de Tripoli sous la Dynastie Toulousaine (1102-1187), Geuthner, Paris, 1945,
Richard, J., Questions de topographie tripolitaine, Journal Asiatique, 235, 1946-1947: p. 55;
Röllig, W., On the origins of the Phoenicians, Berytus 31, 1983: pp. 79 s.
Rouvier, J., Botrys, Mélanges de numismatique, 1898: pp. 121-123;
Rouvier, J., Les ères de Botrys et de Beryte, Journal International d Archéologie Numismatique, 11, 1899: pp. 9-12;
Rouvier, J., Numismatiques des villes de la Phénicie: Botrys..., JIAN, IV, 1901: pp. 35-37,
Runciman, St., A History of the Crusaders, 3 vol. Cambridge, 1951-1952-1953;
Salamé-Sarkis, H., Ardata-Ardé dans le Liban-Nord: Une nouvelle cité cananéenne identifiée, MUSJ, 47, 1972: pp. 123-145;
Salamé-Sarkis, H., Wahlia-Mahallata-Tripoli?, MUSJ, 49, 1975-76: pp. 41-56.
Salamé-Sarkis, H., Chronique Archéologique du Liban-Nord, BMB, 24, 1971: p. 100.
Sandars, N.K., The Sea Peoples, Warriors of the Ancient Mediterranean, London, 1978;
Sanlaville, P., Etude géomorphologique de la région littorale du Liban, 2 tomes et 1 vol. de Cartes, Publ. de l'Univ. Lib., Section des Etudes Géographiques, I, Beyrouth, 1977,
Schlumnberger, G., Numismatique de l'Orient Latin, Geuthner, Paris, 1878,
Schlumberger, G., Sigillographie de l'Orient Latin, Geuthner, Paris, 1943.
Seyrig, H., Sur les ères de quelques villes de Syrie, Syria 27,
1950: pp. 5-50;
Seyrig, H., Eres pompéennes des villes de Syrie, dans Antiquités Syriennes, 56; Syria 31, 1954: pp. 73-80;
Starcky, J., 1972, Arca du Liban, Cahiers de l'Oronte, 10, Beyrouth 1971-1972: pp. 102-117
Urquhart, D., The Lebanon, (Mount Souria); A History and a Diary, vol. II, London, 1860;
Wild, S., Libanesische Ortsnamen: Typologie and Deutung, Beirut, 1973;
Will, Ed., Histoire politique du monde hellénistique, II, Nancy, 1967.

HISTOIRE DE BATROUN - Par Dr. HASSÂN SALAM-SARKIS

source: http://www.lebanonlinks.com/batroun/histoire_de_batroun.asp

Publicité
Commentaires
Publicité